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Yoga et Arts Martiaux INDIENS : Quelles connections ?
Le yoga, dès le Ṛgveda, s’inscrit dans une dimension guerrière, le terme désignant à la fois le char du guerrier, la préparation à la guerre, et parfois la guerre elle-même.
Cette association se poursuit dans les grandes épopées indiennes, où les qualités du yogi – maîtrise de soi, concentration et équanimité – font écho aux vertus des guerriers accomplissant leur dharma.
Historiquement, certains yogis ont endossé des rôles guerriers : ascètes armés dès le VIIe siècle, armées de yogis nagas au XVe siècle, jusqu’à leur splendeur militaire au XVIIIe siècle. ,
Ces éléments révèlent un entrelacement ancien entre yoga et combat et soulèvent une question essentielle : le yoga peut-il être considéré comme un art martial ?
En quoi s’en distingue-t-il ? Et quelles influences mutuelles le yoga et les arts martiaux indiens ont-ils exercées l’un sur l’autre ?
Cet article examine ces connexions historiques et philosophiques, en s’appuyant sur leur évolution et leurs pratiques respectives, dans le cadre d’une recherche sur les rapports entre yoga, violence et discipline martiale.
Les Arts Martiaux Indiens en relation avec le yoga : Aperçu historique
Parmi les disciplines indiennes liées aux pratiques physiques, le Mallavidyā, le Mallakhamb et le Kalarippayattu offrent des parallèles intéressants avec le yoga
Mallavidyā et Malla-yuddha : Arts de la lutte
Le Mallavidyā, « L’art de la lutte », est une discipline structurée incluant des postures (sthāna), des efforts physiques (śrama) et des rituels symboliques. Le malla-yuddha est une discipline ancestrale de lutte en Inde.
L’art de la lutte est très ancien, son origine mythique est décrite dans le Mallapurāṇa, un texte ancien datant probablement du XIIᵉ siècle, lié au malla-yuddha. Il décrit les techniques de combat, les rituels et les philosophies spirituelles associées à la lutte.
Ce texte est un guide pour la préparation martiale et un mode de vie sain, établissant des sous-catégories de lutteurs basées sur l’âge, le poids, le type corporel, l’alimentation, les compétences techniques et la caste.
En savoir plus sur le Mallapurāna
Il se présente comme un récit familial rédigé par les jyeṣṭhī-mallas (meilleurs lutteurs) dévots de Kṛṣṇa. Ce texte justifie le mode de vie castéiste des brahmanes et leur rôle dans le maintien du dharma.
Le Mallavidyā regroupe les exercices préparatoires au malla-yuddha, l’art martial de la lutte. Ce n’est pas un art martial en soi, mais un ensemble de pratiques physiques, techniques, mentales et spirituelles pour rendre les lutteurs plus complets et performants. Ainsi, la lutte (malla-yuddha) est une discipline ancestrale, évoquée dans des épopées comme le Mahabharata et le Ramayana. Bien qu’elle ait probablement été pratiquée en Inde depuis des temps très anciens, les données historiques précises concernant le malla-yuddha durant la période védique restent limitées. Les premières attestations écrites du terme malla-yuddha apparaissent dans le Mahabharata, dont la composition est estimée entre le VIIIᵉ et le IVᵉ siècle avant notre ère.
Le Mallakhamb
Du Mallavidyā naît une autre discipline : le Mallakhamb.
Le Mallakhamb est une pratique physique traditionnelle indienne consistant à grimper et descendre un poteau ou une corde tout en exécutant des postures acrobatiques afin de conditionner le corps.
Le terme, formé des mots sanskrit malla (lutteur) et marathi khāmba (poteau), n’apparaît clairement qu’à partir de 1750. Initialement, il s’agissait d’un exercice auxiliaire pour les lutteurs.
Le Mallakhamb remonte au moins à la première moitié du XIIᵉ siècle. Ses premières mentions écrites se trouvent dans le Manasollasa, une encyclopédie rédigée en 1135 par le roi Chalukya Someshvara III. Le Mānasollāsa parle d’un “exercice de poteau” (stambhaśrama) sans citer explicitement le terme Mallakhamb. Cette pratique s’est formalisée tardivement au XXᵉ siècle.
Bien que le Mallakhamb soit devenu un symbole national et célébré lors de la Journée Internationale du Mallakhamb, il reste encore relativement méconnu à l’échelle mondiale.
source : Poles apart? From Wrestling and Mallkhāmb to Pole Yoga paru dans JOURNALOF YOGASTUDIES de Patrick S. D. McCartney.
Plus d'infos sur l'histoire du Mallakhamb
La pratique connaît une renaissance sous les Peshwas (1750-1800), période durant laquelle elle devient partie intégrante d’une tradition revitalisée. Des œuvres d’art des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles montrent des acrobates et lutteurs utilisant des poteaux, confirmant une pratique similaire avant la formalisation du Mallakhamb.
La littérature tamoule, notamment durant la période Sangam (300 av. EC à 300 EC), mentionne aussi des acrobates pratiquant des voltiges sur bambous, ce qui pourrait être un précurseur de la pratique du Mallakhamb.
Il existe également un lien possible avec les rituels védiques : le yūpa (pilier sacrificiel), utilisé dans les cérémonies religieuses, pourrait avoir inspiré cette forme d’exercice. Des textes anciens comme la Vājasaneyīsaṃhitā (600 av. EC) et le Śatapathabrāhmaṇa (300 av. EC) évoquent des danseurs sur poteaux dans un contexte rituel. Les troupes itinérantes du Deccan, telles que les kīrtankāras (artistes mêlant musique, danse et théâtre), jouaient aussi un rôle important en introduisant des acrobaties sur poteaux, influençant le développement du Mallakhamb.
Historiquement, le Mallakhamb semble être une synthèse des rituels védiques, des traditions martiales et des danses populaires, évoluant au fil du temps dans des contextes communautaires, éducatifs et artistiques. Aujourd’hui, il est considéré comme un sport traditionnel indien, souvent décrit comme l’un des plus anciens, mêlant lutte et yoga. Sa formalisation dans les écrits remonte au XXᵉ siècle.
Le Kalarippayattu
Le terme “Kalarippayattu” vient de deux mots malayalam :
- Kalari : désigne une arène d’entraînement ou un gymnase traditionnel.
- Payattu : signifie combat ou entraînement.
Le malayalam est une langue dravidienne parlée au Kerala.
C’est un art martial traditionnel originaire du Kerala, dans le sud de l’Inde. Il remonte au moins au XIIᵉ siècle.
Le Kalarippayattu est une discipline polyvalente qui associe :
- Des techniques de combat à mains nues.
- L’utilisation d’armes traditionnelles.
- Des pratiques de méditation et de respiration.
- Des méthodes de guérison issues de l’Ayurveda.
Il se pratique via des rituels, des exercices physiques, des combats chorégraphiés et le maniement d’armes. L’arène est souvent creusée dans le sol, qui est en terre battue pour éviter les blessures.
Le Kalarippayattu a été interdit par les Britanniques en raison de son potentiel à fomenter la résistance.
Comme le yoga postural moderne, cet art a traversé des périodes de déclin. Un praticien décrit comment "l'interdiction de posséder des armes et de s'entraîner au maniement des armes entre 1804 et 1947 a presque totalement détruit l'attrait populaire et la pratique systématique du dans tout le Kerala." Les efforts pour maintenir cette pratique vivante nécessitaient de s'entraîner en secret ou d'utiliser sélectivement ses aspects non martiaux pour éviter les soupçons.
Rob Zabel, Martial Medical Mystical: The Triple Braid of a Traditional Yoga, Rob Zabel
Abordons maintenant les différences fondamentales entre le yoga et les arts martiaux traditionnels indiens.
Yoga et arts martiaux indiens : les différences
Objectifs et contextes historiques
Dans le yoga : L’objectif est spirituel et introspectif. Il vise la libération (mokṣa) ou l’isolement absolu (kaivalya) selon les traditions. Ces états marquent la fin du cycle des renaissances (samsara) et de la souffrance matérielle. Cette libération passe par un détachement des illusions et l’accès à une conscience pure. Ainsi, le yoga est né dans des contextes majoritairement religieux, mystiques et introspectifs pour répondre à des besoins spirituels.
Dans les arts martiaux : L’objectif est martial : se préparer au combat, survivre et démontrer sa force. La défense du dharma (ordre moral et cosmique) est prioritaire. Si le guerrier peut atteindre le mokṣa grâce à ses actions justes, cela reste un objectif secondaire, lié à sa quête de perfection et de discipline. Les arts martiaux ont été développés dans des contextes historiques de conflit, pour répondre à des besoins militaires.
Nature des pratiques physiques
Dans les traditions yogiques classiques, les postures sont statiques et conçues pour la méditation. Les séquences sont souvent lentes et méthodiques. La pratique des āsanas tenus longtemps en statique est recommandée dans des textes comme les Yoga Sūtras de Patañjali (“Sthira-sukham āsanam”), la Haṭha Yoga Pradīpikā et la Gheraṇḍa Saṃhitā. Ces textes soulignent que la stabilité et la durée favorisent une meilleure préparation physique, mentale et spirituelle pour la méditation.
Dans les arts martiaux, les postures sont dynamiques, orientées vers le mouvement, la rapidité et la réactivité. Par exemple, les daṇḍ (push-ups plongeants) et bhetak (squats), propres aux arts martiaux indiens, sont des mouvements dynamiques. Ils impliquent un déplacement du corps ou un changement de position, plutôt qu’un maintien prolongé dans une posture fixe.
Intensité et efforts physiques
En yoga postural, les efforts sont modérés et progressifs, souvent associés à des techniques respiratoires (prāṇāyāma) et méditatives pour une maîtrise corporelle sans épuisement. L’intensité musculaire est modérée, sauf dans certaines postures avancées.
En revanche, les arts martiaux indiens demandent une intensité physique plus élevée, adaptée à des objectifs pratiques comme le combat ou l’autodéfense. L’intensité de l’effort musculaire est élevée, avec une sollicitation constante des muscles.
Points Communs entre Yoga et arts martiaux Indiens
Maîtrise corporelle et mentale
Le yoga et les arts martiaux indiens partagent un objectif commun : développer une maîtrise harmonieuse du corps et de l’esprit. Cette maîtrise est essentielle pour atteindre un équilibre intérieur, surmonter les obstacles, se transformer et s’élever spirituellement.
Dans le Mallapurāṇa (8.17), des postures comme kūrmāsana (posture de la tortue) favorisent la concentration et l’équilibre, démontrant l’importance du contrôle corporel et mental pour les lutteurs. Les Yoga Sūtras (2.46) de Patañjali insistent également sur la stabilité des postures corporelles (sthira-sukham āsanam), soulignant la dimension méditative de cette maîtrise.
Dans le Kalarippayattu, cette maîtrise se développe par un entraînement intensif combinant pratiques physiques rigoureuses, techniques de respiration (prāṇāyāma), méditation et discipline philosophique. Le contrôle du regard (dṛṣṭi) joue un rôle clé pour maintenir la concentration et canaliser l’énergie, que ce soit dans la pratique martiale ou dans le yoga.
Ainsi, ces disciplines convergent dans leur quête de dépassement personnel, qu’il s’agisse de protéger le dharma ou d’atteindre un état de paix intérieure.
Utilisation des āsanas
Les āsanas sont présentes dans les deux disciplines, mais leur usage diffère :
- En yoga, les postures sont conçues pour stabiliser le corps et l’esprit afin de préparer à la méditation.
- Dans les arts martiaux, elles servent à adopter des positions dynamiques adaptées au combat.
Comme le souligne Patrick S. D. McCartney, le Mallapurāṇa mentionne des postures comme agrāsana (position d’attaque), paścādāsana (position de défense) et madhyāsana (position de maintien) (8.17).
Le Manasollasa contient une liste de 18 āsanas, parmi lesquels le śīrṣāsana (posture sur la tête). Selon Rob Zabel, cela établit un lien pré-britannique entre la lutte et la pratique des āsanas. Cette observation est significative, car elle démontre que l’intégration de techniques issues des arts martiaux dans le yoga ne résulte pas uniquement d’une réaction à l’oppresseur colonial britannique, mais s’inscrit dans une tradition bien antérieure.
Rob Zabel illustre ce lien en observant que dans le mallakhamb, qui date d’une époque similaire aux premiers textes de haṭha yoga, certains mouvements rappellent le padāṅgustāsana (dans le yoga de Bikram) ou le natarājāsana (dans le yoga d’Iyengar), montrant ainsi une continuité entre l’art martial et les postures yogiques.
Dimension performative
Les deux traditions ont une dimension démonstrative :
- Les arts martiaux impressionnent les mécènes ou recrutent des élèves par des démonstrations.
- Le yoga enseigne ou démontre la maîtrise physique dans des cadres similaires.
Dans le contexte martial, les lutteurs ou pratiquants du Mallkhāmb exécutent des séries ou séquences mémorisées, semblables aux démonstrations fluides de yoga vinyāsa.
« Il est indéniable que des innovateurs comme Krishnamacharya souhaitaient également exposer les compétences de leurs étudiants à leurs mécènes et au monde, comme on le voit dans les images d’actualités de 1938 où lui et Iyengar passent sans effort d’une posture à une autre. » (R. Zabel)
Dimension spirituelle et symbolique
Bien que les objectifs prioritaires diffèrent — la libération spirituelle pour le yogi et la protection du dharma pour le lutteur — les deux traditions intègrent une dimension spirituelle en reliant les pratiques corporelles à des buts plus élevés.
Les pratiquants de yoga cherchent l’harmonie intérieure et la libération spirituelle.
Les lutteurs, dans le Mallapurāṇa, sont initialement formés pour protéger le dharma. Atteindre le mokṣa est une conséquence lorsque cet objectif prioritaire a été rempli.
Le Mallapurāṇa décrit la lutte comme une pratique combinant effort physique et quête spirituelle, enracinée dans des principes religieux hindous (vishnouites et brahmaniques). Il insiste sur l’importance d’un entraînement rigoureux et organisé (samyak abhyāsa), transmis de génération en génération par des maîtres lutteurs (malla-vaṃśa).
Kṛṣṇa relie la pratique de la lutte à un objectif spirituel élevé, celui de la libération de l’âme (mokṣa), et promet force et victoire à ceux qui suivent cette discipline. Cette quête spirituelle s’inscrit dans une vision traditionnelle qui valorise l’équilibre des rôles sociaux et la protection du dharma (les principes universels) sous l’autorité d’un roi exemplaire.
Dans cette perspective, Kṛṣṇa explique que la libération spirituelle peut être atteinte par une pratique répétée de la lutte, une science qu’il a lui-même maîtrisée et confiée aux lutteurs pour qu’ils la préservent sur terre.
Cette approche diffère des techniques du haṭha yoga, où la libération est obtenue par des pratiques méditatives avancées (rāja yoga). Dans le Mallapurāṇa, le chemin vers le mokṣa est fortement ancré dans l’effort physique et la discipline martiale, illustrant une vision unique qui allie maîtrise du corps, combat et spiritualité.
Les deux traditions honorent également des figures mythologiques comme Hanuman, symbole de force et de dévotion.
Le corps subtil
Le Kalarippayattu offre un système incroyablement complet, englobant la médecine, le massage, l'anatomie subtile appliquée et la pratique dévotionnelle, des aspects qui sont également centraux dans le yoga postural moderne.
Rob Zabel, Martial Medical Mystical: The Triple Braid of a Traditional Yoga, Rob Zabel
Le Kalarippayattu, tout comme le yoga, vise à développer une conscience subtile du corps (sukṣma śarīra), indispensable pour maîtriser les mouvements et les techniques avancées. Cette conscience, enracinée dans des principes yogiques, joue un rôle central dans les aspects fondamentaux de cette discipline martiale.
Utilisation de la respiration (prāṇāyāma) et du focus (dṛṣṭi)
La respiration contrôlée (prāṇāyāma) et le focus visuel (dṛṣṭi) sont des éléments clés dans les deux disciplines pour maintenir la concentration et maximiser l’efficacité.
- En yoga, le dṛṣṭi est utilisé dans des postures et méditations pour canaliser l’énergie.
- Dans la lutte traditionnelle indienne et le Kalarippayattu, le dṛṣṭi joue un rôle clé dans la stratégie, la coordination et la maîtrise de soi.
- Dans les deux disciplines, le contrôle de la respiration accompagne souvent les mouvements, renforçant leur précision et leur efficacité.
Rob Zabel souligne :
« Pendant l’entraînement, l’élève doit fixer un point précis (dṛṣṭi), ce qui contribue à développer l’ekāgratā (concentration unifiée) et la conscience du corps subtil (sukṣma śarīra), concepts fondamentaux des Yoga Sūtras de Patañjali et de l’aṣṭāṅga vinyāsa. »
Discipline et retenue sexuelle
La retenue sexuelle est une autre valeur commune au haṭha yoga et aux arts martiaux. Comme le note Rob Zabel :
« La lutte est pratiquée dans de modestes gymnases à travers le pays, souvent animés par des ascètes célibataires. Il n’est pas surprenant que la retenue sexuelle exigée du sadhu soit également attendue du lutteur, avec la même explication humorale liant la continence sexuelle à la force de caractère. »
Rappelons que, pour les ascètes indiens, les austérités – qu’il s’agisse de contrôler le souffle, le mental, les fluides ou les membres du corps – ont pour finalité de permettre au pratiquant d’atteindre le mokṣa, la libération de l’âme ou la libération du cycle des renaissances.
Anatomie subtile et médecine intégrée
La conscience subtile est également cruciale dans les techniques thérapeutiques et martiales du Kalarippayattu, telles que :
- Le massage thérapeutique : Il favorise la circulation de l’énergie et aide à maintenir l’équilibre entre le corps et l’esprit.
- Les attaques sur les points vitaux (marma) : Ces techniques exploitent une compréhension profonde des systèmes subtils et physiques du corps, ciblant des zones spécifiques pour neutraliser un adversaire ou stimuler des processus de guérison.
Ces applications témoignent de l’influence directe des concepts yogiques sur les arts martiaux, en intégrant des pratiques holistiques issues des traditions anciennes.
Cakras (centres énergétiques)
- En yoga, les cakras sont souvent des points de focalisation mentale utilisés pour la méditation et l’harmonisation énergétique.
- Dans les arts martiaux, ils sont perçus comme des centres énergétiques physiques pouvant être exploités pour guérir ou neutraliser un adversaire.
Marma (points vitaux)
Les marma, décrits dans des textes comme le Suśruta Saṃhitā (6ᵉ siècle av. J.-C.), sont des zones stratégiques où convergent les flux d’énergie (prāṇa). Ils sont :
- Utilisés en thérapie : notamment dans les massages pour rétablir l’équilibre énergétique et favoriser la guérison.
- Exploités en combat : particulièrement dans le Kalarippayattu, pour neutraliser un adversaire en ciblant des points vitaux.
Nāḍīs (canaux énergétiques)
Les nāḍīs, décrits dans les traditions yogiques, sont essentiels à la circulation de l’énergie vitale. Ces canaux, bien qu’intangibles, influencent directement la santé physique et spirituelle, reliant le corps subtil et physique.
Tandis que Singleton et d’autres universitaires, dont A. G. Mohan, élève de Krishnamacharya, décrivent les comme un élément purement mental de la méditation, les artistes martiaux les envisagent de manière plus appliquée. Ces derniers les intègrent comme des points énergétiques physiques (marma), définis comme des intersections des canaux du corps subtil (nāḍīs), capables à la fois de guérir et de nuire.
Rob Zabel, Martial Medical Mystical: The Triple Braid of a Traditional Yoga, Rob Zabel
Influences des arts martiaux sur le yoga
Techniques physiques
Les mouvements de lutte traditionnels indiens, comme les daṇḍ (push-ups plongeants) et les bhetak (squats), ont influencé le développement de certaines postures du yoga moderne. Par exemple, le daṇḍ, utilisé par les lutteurs pour renforcer la force du haut du corps et la flexibilité de la colonne vertébrale, trouve son équivalent dans des poses telles que :
- Le chien tête en bas (Adho Mukha Śvānāsana),
- La posture à huit membres (Ashtanga Namaskara), une transition courante dans les salutations au soleil.
Ces mouvements, bien que martiaux à l’origine, ont été intégrés au yoga en mettant davantage l’accent sur la fluidité, la respiration et l’alignement du corps.
Nature des pratiques physiques : Dynamisme des séquences
Nous avons vu que les postures de yoga privilégient la statique et la durée. La dynamique en yoga semble remonter à la salutation au soleil, dont les premières traces apparaîtraient au XVIIᵉ siècle. (Pour en savoir plus sur l’origine de la salutation au soleil, voir notre précédent article.)
Les séquences fluides du yoga moderne (vinyāsa) et les salutations au soleil rappellent les enchaînements martiaux dynamiques du Kalarippayattu. Ces enchaînements, combinant des pas et des postures animales, incluent :
- Des coups de pied,
- Des frappes à mains nues,
- Des sauts acrobatiques,
- Des esquives
Ces mouvements simulent des situations de combat réelles. À la fois esthétiques et pratiques, ils préparent les pratiquants à des confrontations tout en développant leur force, leur souplesse et leur concentration.
Selon Jason Birch auteur du livre Āsanas of the Yogacintāmaṇi, c’est au XVIIIe siècle que les āsanas dynamiques, enchaînés en séquences, répétitifs et debout – par opposition aux postures majoritairement assises – commencent à se développer. Ces évolutions seraient sans doute dues à l’influence des arts martiaux, en particulier de la lutte indienne (kushti), qui intègre des mouvements dynamiques exigeant force et souplesse, ainsi qu’à l’entraînement militaire. Ces pratiques nécessitaient de nombreuses années d’entraînement et n’étaient pas destinées aux débutants, mais aux pratiquants expérimentés et disciplinés. Les manuels de lutte indienne décrivent ces mouvements comme une composante d’un entraînement martial structuré visant à renforcer la force physique et l’endurance.
Ainsi, il n’est pas déraisonnable de penser que Krishnamacharya ait pu s’en inspirer lorsqu’il a développé le vinyāsa.
Utilisation des āsanas
Des mouvements et postures spécifiques aux arts martiaux, ont influencé des āsanas modernes. Des poses comme śīrṣāsana (équilibre sur la tête) ou natarājāsana (pose du danseur cosmique) s’inspirent de contorsions martiales. On peut raisonnablement penser que les arts martiaux ont influencé le yoga postural, puisque les textes anciens mentionnent les techniques martiales bien avant l’apparition détaillée des āsanas physiques dans les textes de haṭha yoga.
Les textes anciens, comme le Ṛgveda (1500-1200 avant notre ère), les Mahābhārata et Rāmāyaṇa (vers 500 avant notre ère), le Mallapurāṇa (10ᵉ-12ᵉ siècle), le Dhanurveda (400 avant notre ère à 200 de notre ère) et l’Arthaśāstra (3ᵉ siècle avant notre ère), montrent que les techniques martiales étaient documentées bien avant que les āsanas physiques ne soient codifiées. Ces dernières apparaissent en détail dans des textes de yoga comme la Haṭha Yoga Pradīpikā (15ᵉ siècle) et la Gheraṇḍa Saṃhitā (17ᵉ siècle). Cela suggère une évolution où les arts martiaux, enracinés dans les traditions guerrières anciennes, ont influencé certaines pratiques physiques intégrées au yoga.
Influences du yoga sur les arts martiaux
Techniques de méditation et de concentration yoguiqueS :
Les concepts de dhyāna (méditation), tels qu’enseignés dans les textes yogiques, ont été adoptés dans les arts martiaux pour développer la concentration et la maîtrise. Dans des disciplines comme le Kalarippayattu, la méditation est utilisée pour calmer l’esprit avant le combat et visualiser des stratégies, une pratique directement inspirée du yoga.
Le dṛṣṭi, dont les premières mentions explicites apparaissent dans des textes yogiques anciens comme la Bhagavad Gītā, est associé à la méditation et à la stabilité mentale. Ce concept a ensuite été adapté dans des contextes martiaux, notamment dans le Dhanurveda et le Mahābhārata, pour développer la précision visuelle et la concentration stratégique.
Ainsi, ces concepts autour de l’attention trouvent leur origine dans le yoga avant d’être appliqué aux arts martiaux indiens.
La physiologie yogique
Les arts martiaux indiens ont intégré des concepts fondamentaux issus du yoga, enrichissant leurs pratiques par une compréhension énergétique et stratégique.
Concepts de marmas, cakras et nāḍīs
Les marmas : Ces points vitaux sont mentionnés dans des textes comme l’Atharva Veda (1200-1000 av. J.-C.) et le Suśruta Saṃhitā (6ᵉ siècle av. J.-C.), où ils sont utilisés à des fins thérapeutiques.
Ces points, qui jouent un rôle central dans la physiologie subtile, ont été intégrés aux arts martiaux comme le Kalarippayattu pour neutraliser ou affaiblir un adversaire de manière stratégique.Les cakras et nāḍīs : Issus des traditions yogiques tantriques (1ᵉʳ millénaire), ils sont décrits en détail dans la Haṭha Yoga Pradīpikā (15ᵉ siècle) et influencent les pratiques martiales.
Dans les arts martiaux, ces concepts ont été adaptés pour optimiser la circulation de l’énergie (prāṇa), renforcer les capacités physiques, et affiner les mouvements.
Les références aux marmas, cakras et nāḍīs sont antérieures aux descriptions formalisées des arts martiaux indiens, qui apparaissent dans le Mahābhārata (500 av. J.-C.) et le Dhanurveda (400 av. J.-C. – 200 apr. J.-C.).
Prāṇāyāma :
Les textes fondamentaux du yoga, comme les Upaniṣads, la Bhagavad Gītā (verset 4.29) et les Yoga Sūtras (2.49), montrent que le prāṇāyāma est une pratique essentielle visant à maîtriser l’énergie vitale (prāṇa) et à renforcer la stabilité intérieure.
« La discipline du souffle comporte trois éléments : l’inspiration, l’expiration et, le plus important, la suspension à plein. » – Amṛtanāda Upaniṣad
Dans les arts martiaux, le prāṇāyāma est utilisé pour :
- Optimiser l’énergie vitale pendant les combats.
- Renforcer la force, l’endurance et la rapidité.
Par exemple, dans le Kalarippayattu, des exercices respiratoires spécifiques accompagnent les enchaînements pour maintenir un flux énergétique constant.
Ainsi, il est raisonnable de penser que la physiologie yogique, par sa compréhension subtile du corps et de l’énergie, a influencé les arts martiaux indiens. Les marmas, cakras et nāḍīs, issus des traditions spirituelles et thérapeutiques du yoga, ont enrichi les pratiques martiales en leur apportant une dimension énergétique et stratégique.
Le Yoga-Ksema : quête de pacification commune
Dans le Ṛgveda, le terme yoga est fréquemment utilisé comme une métaphore de conflit, en particulier pour désigner des situations de guerre. En outre, comme le soulignent Christian Lee Novetzke et Sunila Kalé dans The Yoga of Power: Yoga as Political Thought and Practice in India, le mot yoga est souvent associé à kṣema, formant le composé yoga-kṣema.
Yoga-kṣema peut être traduit par « une paix obtenue par la guerre » ou « un repos gagné après un conflit » (a peace won by war, rest after war). Yoga a ici le sens de guerre, tandis que kṣema signifie paix. En français, cette notion peut être interprétée comme « le repos du guerrier » ou encore « la paix après la bataille ».
Dans le Mallapurāṇa, texte dédié à la lutte, le yoga-kṣema est explicitement cité comme un objectif du lutteur, associant l’action martiale à une forme de pacification ou de repos mérité :
« Les sons qui doivent être exécutés traditionnellement autour du gymnase, je vais tous les expliquer dans le but d’accomplir le yoga-kṣema. »
(Mallapurāṇa 7.01)
Les lutteurs du Mallapurāṇ évoquent peut-être avec nostalgie une dualité culturelle perçue dans le Ṛgveda, où le terme yoga-kṣema apparaît (Ṛgveda 10.166.5), mais ne fait pas référence à une pratique spirituelle du yoga. Au contraire ..., le terme yoga désigne une période d’application militaire de l’action martiale (yoga), contrastée avec la période d’interruption ou de repos (kṣema). Le yoga exprimé dans le MP implique donc un mouvement transformateur vers le jita-śrama (« l’effort de celui qui est victorieux »).
Poles apart? From Wrestling and Mallkhāmb to Pole Yoga paru dans JOURNALOF YOGASTUDIES de Patrick S. D. McCartney
Résonance moderne : un yoga-kṣema pour le yogi contemporain
Cette dynamique entre effort et repos trouve une résonance dans les pratiques yogiques modernes, notamment dans la posture de relaxation śavāsana, qui conclut une séance de yoga. Ne pourrait-on pas y voir le yoga-kṣema du yogi moderne ? Ce moment de calme après l’effort symbolise un repos mérité, évoquant la quête plus large de pacification intérieure et extérieure qui unit ces deux traditions.
Bien que leurs objectifs diffèrent — la libération spirituelle pour le yoga et la défense du dharma pour les arts martiaux — ces deux disciplines convergent dans leur quête commune de pacification, qu’elle soit individuelle ou collective.
Conclusion
Le yoga et les arts martiaux traditionnels indiens partagent une histoire culturelle imbriquée et entretiennent des relations étroites, s’influençant mutuellement selon le contexte et les besoins. Leur objectif spécifique diffère toutefois : le yoga vise la libération spirituelle (mokṣa), tandis que les arts martiaux poursuivent un objectif de préservation de l’ordre (dharma).
Cependant, si l’on examine leur finalité, on peut discerner une convergence : le yoga cherche à mettre fin à la souffrance (duḥkha-nivṛtti), tandis que les arts martiaux aspirent à la fin de la guerre. Ces deux disciplines se rejoignent ainsi dans une quête commune de pacification, à la fois individuelle et collective.
Sources :
Rob Zabel dans son essai Martial Medical Mystical: The Triple Braid of a Traditional Yoga, Rob Zabel
Poles apart? From Wrestling and Mallkhāmb to Pole Yoga paru dans JOURNALOF YOGASTUDIES de Patrick S. D. McCartney
The Yoga of Power: Yoga as Political Thought and Practice in India, de Christian Lee Novetzke et Sunila Kalé
Que pensez-vous de ces relations entre yoga et arts martiaux ? Avez-vous déjà exploré ces disciplines ou ressenti des parallèles entre elles dans votre pratique ou réflexion personnelle ? Partagez votre ressenti et votre expérience dans les commentaires pour enrichir cette discussion.