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Posture du guerrier : hĂ©ritage militaire ou sagesse yogique ?âŻ
La posture du guerrier, ou VirabhadrÄsana, est aujourdâhui une figure incontournable du yoga moderne. Elle symbolise la force, la stabilitĂ©, la dĂ©termination. Mais derriĂšre cette posture dynamique, si prĂ©sente dans les sĂ©quences de yoga contemporaines, se cache une histoire bien moins connue.
Contrairement Ă d’autres postures que l’on retrouve dans les traitĂ©s anciens du haáčhayoga, la posture du guerrier nâapparaĂźt dans aucun texte yogique prĂ©moderne. Elle serait nĂ©e dans un contexte trĂšs Ă©loignĂ© des grottes de mĂ©ditation : celui des exercices de gymnastique militaire occidentale, avant dâĂȘtre intĂ©grĂ©e dans le yoga postural moderne au XXe siĂšcle, par des figures comme Pattabhi Jois.
Dans le mĂȘme temps, cette posture a Ă©tĂ© associĂ©e Ă une figure puissante de la mythologie hindoue : Virabhadra, nĂ© de la colĂšre divine de Shiva. Aujourdâhui, la posture du guerrier est aussi un outil dâexploration intĂ©rieure, mobilisant la force vitale du yogi dans une quĂȘte de clartĂ©, de transformation et de dĂ©passement de lâignorance.
Une posture absente des textes anciens du yoga
Bien que la posture du guerrier (VirabhadrÄsana) soit aujourdâhui considĂ©rĂ©e comme une posture emblĂ©matique du yoga moderne, aucune trace de cette posture ne figure dans les textes yogiques anciens. Selon James Dylan Russell, son origine pourrait plutĂŽt ĂȘtre trouvĂ©e dans des exercices militaires europĂ©ens, introduits en Inde Ă la fin du XIXe siĂšcle.
Dans son article âSĆ«ryanamaskÄr: Tracing the Origins of Yogaâs Sun Salutationâ publiĂ© dans le Journal of Yoga Studies, il Ă©crit clairement :
VÄ«rabhadrÄsana does not feature in any known premodern yogic works.
James Dylan Russell
La posture du guerrier, bien que nommĂ©e en sanskrit et prĂ©sentĂ©e aujourdâhui comme une posture fondĂ©e sur des valeurs spirituelles profondes, nâest donc pas issue des traditions anciennes du haáčhayoga, ni des textes fondateurs comme le HaáčhapradÄ«pikÄ, le Ćiva SaáčhitÄ ou le Gheraáčáža SaáčhitÄ.
Posture du guerrier : une origine militaire occidentale
Russell identifie une posture trĂšs similaire, appelĂ©e the Charge, dans un manuel de gymnastique europĂ©en â le Hand-Book of Callisthenics and Gymnastics de Watson, publiĂ© en 1864. Dans ce manuel, the Charge est une position dynamique pratiquĂ©e avec des haltĂšres ou un bĂąton dans le cadre dâexercices de gymnastique.
Ces pratiques furent ensuite intĂ©grĂ©es aux entraĂźnements de lâarmĂ©e britannique â notamment dans lâArmĂ©e des Indes â et diffusĂ©es dans les Ă©coles indiennes au dĂ©but du XXe siĂšcle grĂące Ă des instructeurs de gymnastique issus du milieu militaire.
Comme le résume Russell :
La similaritĂ© morphologique du VÄ«rabhadrÄsana avec la posture de la Charge, ainsi que la large diffusion des exercices gymniques dans les programmes dâĂ©ducation physique indiens, suggĂšrent que cette posture dĂ©rive dâun contexte martial plutĂŽt que yogique.
James Dylan Russell
Il est donc tout Ă fait probable que la posture du guerrier ait Ă©tĂ© inspirĂ©e par des formes dâentraĂźnement militaire occidentales, puis adaptĂ©e et renommĂ©e dans un contexte culturel et spirituel indien au XXe siĂšcle.Â
Mais cette reconnaissance de l’influence occidentale ne doit pas faire oublier les liens Ă©troits entre arts martiaux traditionnels indiens et yoga.
La posture du guerrier dans le yoga moderne : Jois, Krishnamacharya et le SĆ«ryanamaskÄr
La premiĂšre intĂ©gration connue de vÄ«rabhadrÄsana dans le yoga postural moderne est attribuĂ©e Ă Pattabhi Jois, dans son livre Yoga Mala (1962). Il lâintĂšgre dans sa deuxiĂšme version du sĆ«ryanamaskÄr, comme une posture dynamique, dans une sĂ©quence de dix-sept vinyÄsas.
Il nây a aucune trace de cette posture dans les traditions classiques du hatha yoga, ce qui renforce lâidĂ©e quâil sâagit dâune introduction moderne.
Le lien entre Pattabhi Jois et son maĂźtre Tirumalai Krishnamacharya est ici essentiel. Jois a Ă©tudiĂ© avec Krishnamacharya, considĂ©rĂ© comme lâun des pĂšres du yoga moderne. Ce dernier enseignait dans le palais de Mysore dans les annĂ©es 1930, sous le patronage du Maharaja Krishnaraja Wadiyar IV. Dans ce contexte, Krishnamacharya a systĂ©matisĂ© une forme de yoga postural dynamique, inspirĂ©e Ă la fois de textes traditionnels et dâexercices physiques modernes, notamment la gymnastique, la lutte et lâĂ©ducation physique britannique mais Ă nouveau n’oublions pas l’influences des arts martiaux traditionnels indiens sur l’approche de Krishnamacharya.
Le sĆ«ryanamaskÄr tel quâenseignĂ© Ă Mysore est donc dĂ©jĂ un produit hybride, mĂȘlant des Ă©lĂ©ments de yoga, de culture physique, et de gymnastique militaire. Câest dans ce contexte que la posture du guerrier a Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e dans une sĂ©quence fluide, non comme une posture statique, mais comme un mouvement dynamique synchronisĂ© avec la respiration, marque de fabrique du vinyÄsa yoga.
Virabhadra, le mythe du courage inébranlable
Mais si la posture du guerrier est moderne dans sa forme, elle sâenracine dans un mythe sacrĂ©. Difficile dâaborder le lien entre yoga et combat sans Ă©voquer Virabhadra, le hĂ©ros lĂ©gendaire qui a donnĂ© son nom Ă la cĂ©lĂšbre posture.
Son nom reflÚte les qualités fondamentales de ce guerrier :
Vīra : force, courage, endurance, fidélité, détermination
Bhadra : bienveillance, noblesse, protection
Dans le Vishnu Purana, texte sacrĂ© de lâhindouisme, Shiva est uni Ă Sati, sa compagne bien-aimĂ©e. Cependant, leur union nâest pas acceptĂ©e par Daksha, le pĂšre de Sati. TrĂšs attachĂ© Ă lâordre et Ă la morale, Daksha mĂ©prise Shiva, quâil considĂšre comme une figure anarchique incarnant la puissance brute, la destruction et la transgression des lois Ă©tablies.
Un jour, Daksha organise une grande cĂ©rĂ©monie sacrificielle pour honorer les dieux, mais il exclut dĂ©libĂ©rĂ©ment Shiva. Sati, profondĂ©ment blessĂ©e, dĂ©cide de sây rendre seule. ConfrontĂ©e au mĂ©pris de son pĂšre, elle est submergĂ©e par la honte et le dĂ©sespoir, et se jette dans le feu sacrificiel.
Lorsque Shiva apprend la mort tragique de Sati, il est saisi dâun mĂ©lange de chagrin et de colĂšre divine. Dans un accĂšs de rage, il arrache une mĂšche de ses cheveux et la jette violemment au sol. De cette mĂšche naĂźt Virabhadra, une incarnation terrifiante de la colĂšre et de la justice de Shiva.
Virabhadra reçoit pour mission de punir Daksha et de rĂ©cupĂ©rer le corps de Sati. Il interrompt la cĂ©rĂ©monie, dĂ©capite Daksha et massacre les invitĂ©s. Une fois sa vengeance accomplie, il ramĂšne le corps de Sati Ă Shiva, au sommet de lâHimalaya.
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Ce mythe illustre la dualitĂ© de Shiva en tant que destructeur et restaurateur. Si sa colĂšre est dĂ©vastatrice, elle vise Ă rĂ©tablir un Ă©quilibre cosmique et Ă punir lâorgueil des mortels.
« Ce n’est plus âl’acte gratuitâ qui est encouragĂ© mais l’action pour la sauvegarde du dharma. La violence est lĂ©gitime contre les ennemis du dharma. » â VĂ©ronique Bouiller
Bien entendu, Virabhadra fait usage de la violence et ne respecte pas la non-violence (ahimsa) au sens strict, un des principes fondamentaux du yogi. Mais dans la forme, il agit sans passion, dans le renoncement, non par désir de tuer mais par volonté de sauvegarder le dharma.
S'exercer au Guerrier pourrait sembler contraire au principe d'ahimsa⊠Mais avec Virabhadrasana, ce n'est pas au carnage que les yogis ont voulu rendre hommage. (âŠ) L'harmonie cosmique Ă©tant menacĂ©e, la guerre, dans ce contexte, est la manifestation dĂ©fensive de la vie.
Clémentine Erpicum
Posture du guerrier : combat et transformation intérieure
Ainsi, la posture du guerrier est plus quâune posture physique. Elle est une posture de transformation intĂ©rieure, qui mobilise la force vitale contre les ennemis intĂ©rieurs du yogi.
« VirabhadrÄsana, dont il existe trois variantes, est une posture Ă©nergique et exigeante physiquement : sa pratique renforce le corps et le mental. Maintenue un certain temps, la posture gĂ©nĂšre une sensation de chaleur, correspondant Ă lâardeur intĂ©rieure, au tapas (la discipline) du yogi. VirabhadrÄsana Ă©quilibre le chakra ManipĆ«ra, liĂ© Ă lâĂ©lĂ©ment feu. Câest le centre de la vigueur et de la plĂ©nitude, de la force de caractĂšre et de la confiance en ses propres capacitĂ©s. » â ClĂ©mentine Erpicum
Mais le yogi, nous rappelle encore ClĂ©mentine Erpicum, conserve toujours son humilitĂ©, symbolisĂ©e dans la posture par le genou avant pliĂ©. Quelle que soit la guerre Ă mener, elle est toujours dâordre spirituel. Ce ne sont pas des tĂȘtes que le guerrier tranche, ce sont les chaĂźnes de lâignorance (avidyÄ).
Pratiquer la posture du guerrier, câest symboliquement entrer en combat contre ses ennemis internes :
lâillusion (mÄyÄ),
la souffrance (duងkha),
lâignorance (avidyÄ).
Dans cette posture, on peut cultiver consciemment les valeurs du héros spirituel : force, fidélité, service, équilibre, résistance, endurance, mais aussi humilité.
Agir avec discernement, le vinyasa de Décrypter le yoga
Voici un vinyasa inspirĂ© de l’histoire de Virabhadra :
Expire :
Le hĂ©ros, avant de passer Ă lâaction, dit stop. Il interrompt la rĂ©action automatique pour crĂ©er un espace.
Inspire :
Cet espace permet le discernement, la lucidité, la clarté.
Expire :
Lâexpiration tranche. Elle clarifie. Elle dissipe avidyÄ.
Inspire :
Agis avec discernement. Ajuste la posture â intĂ©rieure comme extĂ©rieure. Reste vigilant.
Le yoga nâest pas une bĂ©atitude inerte, mais le fruit dâun travail qui tranche et met lâignorance en piĂšces.
Frans Moors
Conclusion : la posture du guerrier, entre modernité, mythe et lucidité
La posture du guerrier nâest pas une relique ancienne, mais une crĂ©ation moderne. Elle incarne la synthĂšse entre pratique martiale, hĂ©ros mythologique hindou et pratique Ă©nergĂ©tique intĂ©rieure.
Elle rappelle que le yoga nâest pas une fuite, mais un engagement.
Le yogi, Ă lâimage de Virabhadra, agit sans passion, avec luciditĂ©, au service dâun monde plus harmonieux â Ă lâintĂ©rieur comme Ă lâextĂ©rieur.
Sources :
James Dylan Russell â SĆ«ryanamaskÄr: Tracing the Origins of Yogaâs Sun Salutation
George Watson â Hand-Book of Callisthenics and Gymnastics
Pattabhi Jois â Yoga Mala
VĂ©ronique Bouiller â La violence des non-violents ou les ascĂštes au combat
ClĂ©mentine Erpicum â Le chien tĂȘte en bas (Ăditions La Plage)
Frans Moors â Patanjali Yoga-Sutra