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Vinyasa Yoga : de la préparation au combat aux studios branchés, une histoire encore méconnue
Qu'est-ce que le Vinyasa ?
Le Vinyasa Yoga moderne est une pratique posturale dynamique et physique, caractérisée par des enchaînements d’asanas où les mouvements sont synchronisés avec la respiration. Contrairement à l’Ashtanga Vinyasa, qui suit une séquence fixe et immuable, le Vinyasa moderne offre une grande liberté dans l’agencement des postures. Chaque enchaînement est fluide, les transitions se font en douceur et en harmonie, donnant parfois l’impression d’une danse, d’où l’appellation « Vinyasa Flow ».
La composition des séries varie selon l’enseignant, ce qui permet des séances toujours renouvelées et adaptées à l’énergie du moment.
Le Vinyasa a été développé et popularisé par Krishnamacharya vers 1930 sous une forme nommée Vinyasa Krama.
En sanskrit, « vinyasa » se compose de deux parties :
- vi : préfixe signifiant « de manière spécifique »
- nyasa : signifiant « organisation » ou « placement ».
- De plus, krama signifie « palier » ou « succession d’éléments ».
Initialement, le Vinyasa Krama désigne donc une progression par étapes. Dans The heart of asana, le petit-fils de Krishnamacharia le définit ainsi :
Le Vinyasa-krama est un arrangement spécial et séquentiel de positions amenant vers la posture recherchée. Il s'agit d'une séquence logique, suivant le rythme naturel du corps et de la respiration, ce n'est pas aléatoire
The heart of asana, Kausthub Desikachar
C’est une approche progressive de la pratique du yoga, dans laquelle une série de postures prépare et amène à la posture cible et où la respiration est synchronisée à chaque mouvement. Krama évoque ainsi l’idée d’un cheminement organisé et réfléchi, essentiel dans toute pratique visant à développer progressivement la force, la souplesse et la concentration. Selon le même auteur, « Asana-Vinyasa-Krama » peut se définir comme « des étapes séquentielles vers l’asana ».
Le Vinyasa Krama était initialement destiné à un public de jeunes enfants et d’adolescents. Tous les enchaînements commençaient par la posture debout samasthiti. Plus tard, lorsque les élèves qui avaient commencé à pratiquer avec lui vieillissaient, la posture de base était à genoux : vajrasana.
Ainsi, ces enchaînements étaient très codifiés. Durant la première période d’enseignement de Krishnamacharya, dite période de Mysore (de 1930 à 1940), il ne s’agissait pas d’un yoga individualisé et adapté à la personne, mais d’un yoga destiné aux jeunes enfants et adolescents, avec pour objectif principal de développer leur potentiel physique.
Ce n’est pas encore le Viniyoga de la deuxième période d’enseignement de Krishnamacharya, la période de Chennai, à partir des années 1950, lorsque les séquences sont adaptées en fonction des besoins individuels et personnalisées. Ce n’est pas de ce yoga-là dont nous parlerons dans cet article.
Pourquoi Krishnamacharya a inventé le Vinyasa dans les années 1930 ?
Lorsque Krishnamacharya (1888-1989), reconnu comme le père du yoga moderne, crée le yoga Vinyasa dans les années 1930, il le fait dans un contexte bien particulier : depuis 1757, l’Inde est sous domination britannique, et les valeurs traditionnelles sont progressivement balayées.
Krishnamacharya se donne alors pour mission de préserver le yoga et de le rendre accessible au plus grand nombre. Pour y parvenir, il interprète les textes anciens afin d’ouvrir la pratique du yoga aux femmes et aux Occidentaux, jusque-là historiquement exclus de cet enseignement.
Il démocratise ainsi le yoga en le rendant praticable aux femmes et aux castes autres que celle des brahmanes. À son époque, les femmes et les castes inférieures, comme les shudras, étaient généralement exclues de la pratique du yoga. L’enseignement était réservé aux hommes brahmanes ou kshatriyas (guerriers).
Sa mission : préserver le yoga et le rendre accessible au plus grand nombre. Pour y parvenir, il interpréta les textes anciens pour ouvrir la pratique aux femmes et aux Occidentaux, jusque-là historiquement exclus de cet enseignement. Krishnamacharya démocratise ainsi le yoga en le rendant praticable aux femmes et aux castes autres que celle des brahmanes. À son époque, les femmes et les castes inférieures, comme les shudras, sont généralement exclues de la pratique du yoga. L’enseignement du yoga était réservé aux hommes brahmanes ou kshatriyas (guerriers).
Sous la protection d’un raja (Krishnaraja Wodeyar IV), à qui il enseignait le yoga ainsi qu’à sa famille, Krishnamacharya obtient son soutien pour ouvrir une école destinée à diffuser ses enseignements.
Parmi ses élèves figurent Pattabhi Jois, créateur de l’Ashtanga Yoga, Iyengar, son beau-frère, qui popularisera une pratique exigeante axée sur l’alignement des postures, ainsi qu’Indra Devi, qui, bien qu’elle n’ait pas fondé d’école spécifique, marqua l’histoire du yoga.
Krishnamacharya est ainsi reconnu comme le créateur du Vinyasa. Aujourd’hui, cette pratique, majoritairement féminine, domine les cours proposés dans de nombreux studios. Pourtant, à l’origine, le Vinyasa n’était pas une pratique de fitness destinée à sculpter le corps, favoriser la transpiration ou exécuter des enchaînements esthétiques, mais un véritable art martial conçu pour préparer les guerriers au combat.
Une réponse à l’oppression coloniale
Marie Kock, professeure de yoga et journaliste, auteure de Yoga, une histoire-monde, explique :
Si les armées de ces ascètes combattants sont démantelées pendant la domination britannique, c’est bien cette domination qui va faire réémerger le yoga comme réponse symbolique mais aussi physique à l’oppresseur. Quand Vivekananda monte sur la scène du parlement des religions de Chicago, il s’inscrit déjà dans un contre-discours, opposé au discours colonial présentant les hindous comme une race faible et méritant d’être asservie. Le père du yoga moderne, Krishnamacharya, a certes été le premier à affirmer que le yoga était le « cadeau de l’Inde à l’humanité », il a néanmoins développé sa pratique physique dans la perspective d’avoir à s’en servir autrement que comme d’un cadeau. « Mon père a donc développé … une forme plus rapide, plus difficile du yoga traditionnel, résume son fils, T. K. Sribhashyam. En tant que soldats, la famille royale devait être agile et toujours prête à combattre. Dans les années 1930, nous étions loin de l’indépendance. Nous avions des difficultés avec l’armée britannique et l’Inde entière devait constamment être sur le qui-vive. Ce style de yoga …. Mon père l’a nommé viniyasa krama
Marie Kock, Yoga, une histoire-monde
Ce témoignage, d’un des fils de Krishnamacharya, est essentiel pour comprendre en quoi l’invention du Vinyasa par celui-ci est liée au contexte politique de l’Inde des années 1930.
Ainsi, lorsqu’en 1931, à la demande du maharaja de Mysore, Krishnamacharya ouvrit une école de yoga dans le palais royal de Mysore, son objectif était de promouvoir la culture physique traditionnelle indienne en réaction à l’influence croissante de la culture coloniale. La majorité des élèves étaient des princes, membres de familles royales, appartenant donc à la caste des guerriers.
Iyengar témoigne : le yoga comme art martial :
Selon Iyengar, Krishnamacharya enseignait le yoga à ces jeunes hommes comme un véritable art martial adapté au yoga. Voici la transcription d’un entretien vidéo d’Iyengar :
« Could you tell me a little bit about the method of yoga that Krishnamacharya was teaching there? »
« Well, I can say it’s like a dual system to a very great extent because royal family members, when they are practicing, so they are all martial people. So for martial people meditation is not going to help them. So naturally my Guruji must have thought that for these martial people, like martial art, yoga has to become a martial art to train them. So these were vigorous, rigorous movements. What we call today vinyasa is a jumping movements form, asana to asana. Martial people mean warriors… You should know the background … The martial people don’t want philosophy; they want vanity. Jumping is the only best method to create vanity. Jumping for what? … For show-off. »
« .. As martial children, youth have that quality… Up to 40 years you can do it. Afterwards, you’ll find the heart starts beating, head becoming hot… I changed the system because you have a 68-year-old man. If I told him to jump and go into sirsasana, what would happen? He would break. » (J’aimerais pouvoir citer l’auteur de la vidéo mais je ne trouve pas la source).
Le Vinyasa yoga comme fierté nationale
Si, pour Iyengar, l’idée de renforcer le corps des guerriers avait pour objectif la « vanité » de ces derniers, il faut replacer cela dans le contexte de l’époque coloniale, lorsque les Britanniques se moquaient de la corpulence des Indiens, qu’ils qualifiaient de faibles et efféminés. Ainsi, c’est plutôt de « fierté » qu’il s’agit, en réaction à l’agresseur britannique. Cette version d’un yoga comme art martial rejoint le témoignage du fils de Krishnamacharya et sous-entend le yoga comme une pratique d’entraînement militaire.
Krishnamacharya enseignait donc à ces jeunes des enchaînements très dynamiques, exigeant souplesse et rapidité. Une forme que l’on retrouve aujourd’hui dans le Vinyasa et l’Ashtanga. L’Ashtanga de Pattabhi Jois en est une dérivation directe.
Étant donné que la plupart des étudiants du yoga shala de Mysore étaient de jeunes garçons énergiques, Krishnamacharya a développé une nouvelle forme de pratique du hatha yoga qui mettait l'accent sur le développement de la force et l'augmentation de la flexibilité. Il a combiné les hatha asanas et le pranamyama traditionnels avec des mouvements de la gymnastique britannique, en adaptant et en modifiant la séquence pour chaque élève … si vous allez à un cours de yoga … qui contient le mots asthanga, vinyasa, power, flow, core, viniyoga ou Iyengar vous pratiquez dans la tradition de Krishnamacharya
Josh Kaufman, the first 20 hours
Bien que le Vinyasa soit aujourd’hui perçu comme une pratique ludique et accessible à tous, il trouve ses racines dans un entraînement physique intense et exigeant, destiné à préparer les guerriers à affronter l’ennemi et au service de la fierté nationale indienne.
Concernant l’influence de la gymnastique britannique sur le développement du Vinyasa Yoga citée par Kaufman, cette assertion fait débat et fera l’objet d’un article à part entière.
Pour conclure
Le Vinyasa et l’Ashtanga, tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui dans les studios du monde entier, ne sont plus perçus comme un entraînement guerrier, mais comme une discipline physique et mentale axée sur le bien-être. Pourtant, comprendre leur origine permet de leur redonner une profondeur historique et symbolique : ils sont le fruit d’une adaptation ingénieuse du yoga traditionnel dans un contexte d’oppression, où le corps et l’esprit devaient être affûtes pour résister, combattre et, surtout, rester dignes face à l’envahisseur.
Connaître l’histoire du yoga, c’est aussi comprendre qu’il ne peut être une discipline déconnectée de son contexte politique, ni se réduire à une simple quête de bien-être.
Savoir d’où vient ce que l’on fait sur notre tapis de yoga, c’est aussi, à mon sens, pouvoir pratiquer avec plus de conscience. Et toi, qu’en penses-tu ?
Que penses-tu de l’histoire méconnue du Vinyasa Yoga ? Change-t-elle ta vision de cette pratique et/ou ton approche en tant qu’enseignant ? Partage ton ressenti et ton expérience dans les commentaires afin d’enrichir cette réflexion.
Comprendre l’histoire du Vinyasa Yoga peut aider à mieux appréhender les effets psychologiques et neurologiques positifs associés à cette pratique dynamique. Article très complet, merci.
Merci beaucoup Renan pour votre commentaire et pour avoir pris le temps de me lire. Je n’ai pas directement abordé les effets psychologiques et neurologiques positifs du vinyasa dans cet article. Ici, mon objectif était plutôt de mettre en lumière l’importance de connaître l’histoire du yoga, pour mieux comprendre la pratique elle-même, sa symbolique, son pourquoi historique, sans entrer dans le détails des effets psychologiques ou neurologiques du Vinyasa Yoga. Cela dit, c’est un sujet très intéressant que je pourrais aborder dans un futur article sur blog dédié à la pédagogie https://inclusive-yoga.fr/. Merci encore pour votre intérêt !