Bienvenue sur Décrypter le yoga ! Si vous êtes nouveau ici, vous voudrez sans doute lire mon livre sur l'histoire méconnue du yoga cliquez ici pour télécharger le livre gratuitement ! 🙂
Bienvenue à nouveau sur Décrypter le yoga ! Comme ce n'est pas la 1ère fois que vous venez ici, vous voudrez sans doute lire mon livre sur l'histoire méconnue du yoga cliquez ici pour télécharger le livre gratuitement ! 🙂
Yogis guerriers : de la splendeur militaire à la stigmatisation dans l’Inde coloniale britannique
À la fin du XVIIIe siècle, l’Inde était le théâtre d’un phénomène fascinant : celui des yogis armés, figures redoutées et respectées, maîtres d’un pouvoir politique, économique et militaire considérable. Ces ascètes guerriers, glorifiés dans des œuvres picturales (voir ci-contre) incarnaient une force redoutable.
Pourtant, à partir du XIXe siècle, leur image bascule. Stigmatisés, méprisés, ils deviennent les marginaux de l’Inde coloniale britannique.
Kabîr et les yogis guerriers : une critique prémonitoire
Bien avant leur déclin, au XVe siècle, le poète mystique Kabîr dénonçait les dérives des yogis armés. Dans un poème surprenant, il critique leur penchant pour l’argent, la violence et leur éloignement des valeurs spirituelles.
Kabîr anticipait ainsi les critiques qui allaient s’intensifier à l’époque coloniale, où l’image des yogis guerriers se dégrada sous l’effet de la propagande britannique.
Je n’ai jamais vu de tels Yogī, frère. Ils vont insouciants et négligents affirmant la Voie de Mahādev. Et on les appelle pour cela grands mahant. Ils apportent leur méditation sur les marchés et dans les bazars Faux Siddha, amants de Maya. Quand Dattatreya attaqua-t-il un fort ? Quand Śukadeva se joignit-il aux hommes d’armes ? Quand Nārada tira-t-il au fusil (mousquet) ? Quand Vyāsadeva poussa-t-il un cri de guerre ? Ceux-ci font la guerre, lents d’esprit. Sont-ce des ascètes ou des archers ? Être détaché ! L’avidité est ce qui détermine leur esprit. Ils portent de l’or, honte à leur vocation. Ils rassemblent étalons et juments et Possèdent des villages : ils vont comme collecteurs de taxes ! Kabîr
Kabîr
Le Déclin des yogis guerriers
Avec l’arrivée des Britanniques, un changement radical s’opère. Comme le précise Marc Singleton dans Yoga Body, dans l’Inde coloniale britannique, ces yogis étaient mal perçus en raison de leur puissance économique, de leur apparence, de leurs pouvoirs, ainsi que de leurs pratiques jugées « impures » et de leurs activités considérées comme « criminelles ». Il est également à noter qu’au sein de leurs rangs, il n’existait aucune exigence de caste, notamment chez les Nāgā, ni de critères d’origine dans certains autres groupes, ce qui expliquait la présence occasionnelle de musulmans. Autant de pratiques jugées scandaleuses par les hindous traditionalistes.
Le pouvoir britannique, accompagné de certaines élites commerciales indiennes majoritairement vishnouites, voyant en ces ascètes armés majoritairement shivaïtes une menace, entreprit une propagande anti-yogis.
Leur mode de vie est bouleversé par la Pax Britannica (1815-1914) que leur impose une sédentarisation forcée. Autrefois maîtres des réseaux commerciaux du nord de l’Inde, les ascètes guerriers sont dépouillés de leur rôle militaire et économique. Certains s’installent sur des terres offertes par d’anciens protecteurs, tandis que d’autres sombrent dans la pauvreté. De fiers mercenaires, ils deviennent des parias méprisés.
Véronique Bouiller résume cette transition :
L’avènement de la Pax Britannica a imposé aux diverses branches d’ascètes militants une transformation radicale de leur mode de vie. Nombre de Nāgā se sont sédentarisés, mariés et installés sur les terres qui leur avaient été allouées par leurs divers protecteurs, du temps de leur splendeur militaire
Véronique Bouiller, La Violence des non-violents ou les ascètes au combat
Le Déclin des Yogis guerriers
Privés de leurs moyens de subsistance, ces yogis doivent recourir à des activités humiliantes : mendier ou exécuter des contorsions en public. Une chute vertigineuse pour ces anciens seigneurs de guerre.
La marginalisation des yogis guerriers ne se limite pas à une perte de pouvoir. Ils deviennent les « bêtes de foire » de l’Inde coloniale, méprisés par les élites. Clémentine Erpicum illustre ce déclin brutal :
Le yogi était un personnage de cirque apprécié. Dans le sous-continent indien, les yogis, auparavant mercenaires craints, devinrent des bons-à-rien méprisés, des hors-caste exhibant leurs contorsions pour de l’argent. Le hatha yogi était le paria de l’Inde coloniale.
Clémentine Erpicum
Le Renouveau du yoga : Vivekananda et l’ère Moderne
En 1893, lors du Parlement des Religions de Chicago, Swami Vivekananda introduit le yoga à une audience internationale. Ce moment clé jette les bases du yoga moderne. Pourtant, Vivekananda rejette les hatha yogis et leurs pratiques physiques, perçues comme une réminiscence d’un passé honteux. Dans son discours, il ne mentionne pas les asanas (postures), qui définissent aujourd’hui, pour beaucoup, la pratique du yoga.
Ce n’est que plusieurs décennies plus tard que les postures seront réhabilitées, contribuant à l’essor mondial du yoga contemporain. Le yogi moderne, figure d’inspiration spirituelle, se démarque alors totalement de ses prédécesseurs guerriers.
Le yogi moderne n’est pas un hatha yogi. En 1893, au Parlement des Religions de Chicago, le discours de Vivekananda sur l’hindouisme génère un grand enthousiasme et lui confère une célébrité immédiate. Les bases d’un renouveau du yoga, mondial et moderne, sont jetées ; la discipline est amenée à connaitre le succès fulgurant que nous lui connaissons. Pas une seule fois, dans son discours, Vivekananda ne mentionne les asanas. Les postures, auxquelles se résume pourtant la pratique du yoga aujourd’hui, sont rejetées, niées. Ce n’est pas que Vivekananda méprise la pratique physique, c’est qu’il méprise les hatha yogis. Il faudra attendre quelques décennies pour que soit redoré le blason des yogis, et pour que les postures soient placées au centre de la pratique (source : https://3heures48minutes.com/yogis-mauvaise-reputation).
Clémentine Erpicum
Quel lien avec le présent ?
Je me demande parfois quel lien existe entre les contorsions yoguiques exhibées sur Instagram et celles des yogis déchus. Ferions-nous tout cela si notre statut de professeur de yoga était davantage reconnu, mieux rémunéré, et si vivre de l’enseignement du yoga était plus simple ? Et vous, qu’en pensez-vous ? J’aimerais beaucoup connaître votre avis ! N’hésitez pas à partager vos réflexions en commentaire ci-dessous.