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DYNAMIQUE EN YOGA : Tradition ancestrale ou transformation occidentale ?
Table des matières
Le yoga postural moderne au coeur d'un débat
Le yoga postural moderne – une expression introduite par Elizabeth DeMichelis – désigne une transformation du yoga traditionnel qui s’est développée au XXe siècle en mettant l’accent sur les postures physiques (āsana), le mouvement (enchaînements, sauts) et les bienfaits corporels et mentaux et en s’éloignant parfois des dimensions spirituelles et philosophiques du yoga indien traditionnel.
Certains chercheurs considèrent cette évolution comme une rupture avec les formes historiques du yoga, qui étaient principalement axées sur la méditation et l’ascétisme, et où le corps était perçu comme un simple véhicule de l’éveil spirituel. À ce titre, Mark Singleton souligne dans Yoga Body qu’aucune preuve n’atteste de la présence ancienne des pratiques posturales dominantes dans le yoga transnational moderne, excepté certaines « postures assises, telles que padmāsana et siddhāsana, qui ont joué un rôle pratique et symbolique extrêmement important tout au long de l’histoire du yoga ». — Mark Singleton.
La sublimation par Krishnamacharya des formes de gymnastique du XXe siècle qu’il a associées à la tradition Pātañjala indique moins une lignée "classique" historiquement traçable des āsana qu’elle ne témoigne du projet moderne de greffer la pratique gymnastique ou aérobique des āsana aux Yogasūtra et de la création d’une nouvelle tradition. » – Mark Singleton, Yoga Body
Mark Singleton.
Cependant, cette vision est loin de faire consensus. D’autres chercheurs soutiennent l’idée d’une continuité historique du yoga postural, mettant en avant l’héritage martial et physique de la tradition indienne. Certains éléments du yoga moderne, notamment ses formes dynamiques comme l’Ashtanga Vinyasa, pourraient ainsi être enracinés dans des pratiques indigènes plus anciennes.
À ce titre, Rob Zabel souligne l’existence de traditions physiques locales bien établies avant la colonisation britannique. Selon lui, l’absence de preuves textuelles ne signifie pas nécessairement que ces pratiques sont de simples emprunts occidentaux.
Ce débat soulève une question fondamentale :
Le yoga postural moderne, et en particulier ses formes dynamiques comme l’Ashtanga Vinyasa, représente-t-il une rupture avec la tradition indienne, ou s’inscrit-il dans la continuité de pratiques ancestrales ?
Les Influences occidentales sur le yoga moderne
colonialisme et le renouveau de la culture physique mondiale
Le XXe siècle est marqué par un renouveau international de la culture physique, avec une montée en puissance de l’éducation physique occidentale, de la gymnastique et de la musculation. Ces pratiques ont pénétré l’Inde coloniale, influençant l’évolution des exercices physiques locaux, dont le yoga.
L’Inde coloniale était alors traversée par une double dynamique :
- L’idéologie coloniale britannique qui imposait un modèle de force physique occidentale, renforçant le stéréotype des Indiens considérés comme efféminés et faibles par les colons.
- Les mouvements nationalistes indiens qui cherchaient à renforcer le corps indien pour contrer cette image et revendiquer une autonomie culturelle et politique.
Ainsi, l’introduction des mouvements dynamiques dans le yoga, souvent attribuée à Krishnamacharya, s’inscrit dans un contexte marqué par le colonialisme et le renouveau de la culture physique mondiale.
L’influence de la YMCA et de la gymnastique occidentaLe
Un enthousiasme sans précédent pour la gymnastique et les disciplines sportives a conquis la Grande-Bretagne et l'Europe au cours du XIXe siècle. Ces disciplines et les valeurs qui les sous-tendent ont fait leur apparition en Inde britannique, où elles ont à la fois renforcé le stéréotype selon lequel les Indiens seraient efféminés et offert des méthodes pour contrebalancer cette image. À cette période, plusieurs grands modèles de la gymnastique et de la culture physique occidentale, Ling, Sandow, YMCA, ont eu un impact profond sur la perception du corps en Inde. Cela a conduit à la création ou à la renaissance de formes d'exercices indigènes qui se présentaient comme distincts de ces systèmes importés, bien que leur ayant souvent emprunté des éléments.
Mark Singleton.
La YMCA (Young Men’s Christian Association) a été fondée en Angleterre en 1844 avec pour objectif principal d’encourager l’éducation, ainsi que le développement moral et physique des jeunes hommes. En Inde, elle s’est implantée dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle, dans un contexte où les Britanniques cherchaient à promouvoir des valeurs chrétiennes et occidentales à travers l’éducation et la culture physique.
Son impact s’est fait particulièrement sentir à Calcutta, Madras, Bombay et Bangalore, où elle a fondé des écoles, des centres sportifs et des bibliothèques. La YMCA a également introduit en Inde des pratiques de gymnastique, de musculation et de sport en salle, inspirées des méthodes européennes et américaines.
Le Maharaja de Mysore, passionné de gymnastique et pour lequel Krishnamacharya travaillait, a favorisé le développement de la YMCA indienne en encourageant l’établissement de centres de la YMCA dans sa région. Ainsi, il n’est pas déraisonnable de penser que Krishnamacharya ait été exposé aux pratiques de gymnastique occidentales enseignées dans les YMCA et qu’il ait pu s’en inspirer. Mark Singleton souligne d’ailleurs que les enchaînements dynamiques du vinyasa yoga présentent des similitudes frappantes avec les exercices calisthéniques et suédois promus par la YMCA.
D’autant plus que le programme du Maharaja pour Krishnamacharya était d’après Singleton « l’enseignement des āsanas en lien avec la forte tradition de gymnastique du palais et avec le changement des programmes locaux d’éducation physique à travers la région ».
Ces programmes de la YMCA comprenaient musculation et acrobaties, ainsi que des formes de gymnastique indienne et étrangère. Selon Singleton, ce contexte permet de considérer le système de Krishnamacharya comme « une renaissance synthétique des exercices natifs (comprenant les āsanas ainsi que d’autres types d’exercices) dans le contexte de l’éducation physique occidentalisée de la fin de l’Inde coloniale ».
Similitudes entre gymnastique scandinaves et Ashtanga vinyasa
Parmi les pratiques diffusées par la YMCA indienne, figuraient les gymnastiques scandinaves de Ling et Bukh, qui présentent de fortes similitudes avec le Vinyasa Yoga développé par Krishnamacharya, et dont dérivera l’Ashtanga yoga de Pattabhi Jois.
Par Vinyasa, nous entendons les enchaînements codifiés par Krishnamacharya pour accéder à une posture cible. Ces enchaînements incluent des sauts et des mouvements synchronisés avec la respiration (Vinyasa Krama).
Quant à l’Ashtanga Vinyasa, il désigne les enchaînements codifiés développés ultérieurement par Pattabhi Jois, dérivés du Vinyasa Krama de Krishnamacharya.
Nous qualifions ces styles de yogas dynamiques, car ils comportent des sauts et des enchaînements fluides, par opposition aux formes de yoga statiques.
La Gymnastique suédoise Pehr Henrik Ling (1776-1839) :
- Fondée sur des mouvements naturels, elle met l’accent sur la souplesse, la coordination et la respiration. Chaque exercice suit un schéma structuré : entrée – maintien – sortie. Cette pratique dynamique qui date de 1813 rappelle le vinyasa-krama de Krishnamacharya qui est une approche progressive de la pratique du yoga, dans laquelle une série de postures prépare et amène à la posture cible et où la respiration est synchronisée à chaque mouvement. Approche développée par Krishnamacharyavers 1930
- Ling voyait sa méthode comme préventive et curative et utile pour contre balancer les effets négatifs de la vie moderne.
- La méthode de Ling ne se veut pas que physique mais aussi mentale : elle vise un équilibre entre le corps et l’esprit, ce qui n’est pas sans rappeler la vision du yoga comme une pratique holistique.
La Gymnastique danoise de Niels Bukh (1880-1950)
- Développée dans les années 1920 elle est plus athlétique de la gymnastique de Ling, elle introduit des enchaînements rapides, intégrant force, souplesse et coordination.
- Elle repose sur des exercices collectifs synchronisés, où l’accent est mis sur l’explosivité et la fluidité, similaires aux transitions dynamiques du vinyasa yoga et aux sauts de l’asthanga yoga.
- Son approche met en avant le développement physique comme une quête d’harmonie.
Le yoga dynamique développé par Krishnamacharya dans les années 1930, dont l’Ashtanga Vinyasa Yoga est issu, présente des similitudes frappantes avec ces gymnastiques scandinaves :
- Des enchaînements fluides et rythmés, similaires aux séries de mouvements de Bukh.
- Une structuration des postures, qui rappelle la progression des exercices chez Ling.
- Un entraînement basé sur la force, l’endurance et la souplesse, commun aux deux approches.
Bien qu’aucune preuve directe ne relie Ling, Bukh et Krishnamacharya, le contexte historique de la colonisation britannique, la diffusion de la YMCA en Inde et l’intérêt du Maharaja de Mysore pour la culture physique suggèrent une influence croisée entre ces traditions gymnastiques et le yoga dynamique développé par Krishnamacharya.
À l’instar de l’analyse de Singleton, on peut ainsi supposer que Krishnamacharya, en s’inspirant de ces pratiques scandinaves, a pu intégrer des transitions fluides et dynamiques dans les postures, rompant ainsi avec l’immobilité caractéristique des pratiques posturales traditionnelles des hatha yogis. En effet, ces transitions marquent une rupture significative avec l’immobilité propre aux pénitences des ascètes renonçants, ainsi qu’avec les pratiques posturales immobiles et prolongées des hatha yogis, telles que décrites dans les textes classiques de hatha yoga les plus connus: (Gheranda Samhita, Hatha Pradipika notamment).
Ces photos de la gymnastique de Ling prises vers 1910 précèdent l’enseignement de Krishnamacharya à Mysore (1930), suggérant que ces méthodes d’enchaînement dynamique des postures ont pu influencer certains maîtres indiens au début du XXe siècle.
le hatha yoga comme nouvelle forme hybride ?
Écoutons ce texte de Beatrix Hauserqui résume à merveille les développements qui précèdent :
Dans un esprit largement nationaliste et en partie anticolonial, la (nouvelle) performance des exercices de yoga s’est développée en un système pour avoir un physique fort et augmenter sa virilité. Les postures statiques (asana), les verrous énergétiques (bandha) et les techniques de respiration (pranayama) ont été complétés par des exercices calisthéniques et cardiovasculaires basés sur la contraction musculaire et la répétition. Ces exercices aérobiques comprenaient la salutation au soleil, le « hindu-push up » (danda hindi : dand), des éléments de la culture physique locale (tel le vyāyām , la lutte et d’autres arts martiaux) ainsi que des exercices étrangers originaires de la gymnastique et du contrôle musculaire (promus en Inde par des bodybuilders de renommée mondiales à l’époque). (…) Au moment de l’indépendance de l’Inde en 1947, cette nouvelle forme hybride s’appelait Hatha Yoga, désormais la désignation clé utilisée pour distinguer un yoga « sécularisé » axé sur le corps de sa prétendue contrepartie : le yoga métaphysique « spirituel ». …C’est pourquoi Singleton affirme que le yoga basé sur la posture est le résultat d’un échange, d’un dialogue entre les techniques de culture corporelle moderne développées en occident et les différents discours du yoga hindou « moderne ». Il montre également que malgré une référence fréquente aux anciennes écritures et au hatha yoga médiéval axé sur le corps, le yoga contemporain basé sur la posture ne peut pas être considéré comme successeur direct de cette tradition.
Beatrix Hauser (https://yogaresearch.org/2024/05/10/dr-beatrix-hauser/)
L'héritage de la tradition indienne dans la constitution du yoga postural moderne
le yoga martial : un yoga postural ancestral
Bien avant l’époque coloniale, certains ordres ascétiques indiens alliaient discipline physique, spiritualité et entraînement militaire. Parmi eux, les Nāth Sampradāya (ordre fondé par Matsyendranath et popularisé par Gorakshanath vers le IXe-Xe siècle) et les Daśanāmi Sannyāsins (fondés par Adi Shankaracharya au VIIIe siècle) formaient de véritables communautés de combattants yogis, prêts à défendre leurs territoires et leur mode de vie, comme nous l’avons vu notamment avec les armées de combattants Nāga au XVe siècle et certains groupes de yogis Nāths décrits par Ludovico di Varthema.
Les Nāga sont en effet l’illustration de cette tradition de yogis guerriers. Ces ascètes guerriers ont longtemps dominé certaines régions de l’Inde, organisant la protection des routes commerciales et des sites sacrés. Leur mode de vie combinait une pratique intense du yoga, un entraînement physique rigoureux et une préparation au combat.
La tradition des ordres ascétiques guerriers reposait sur des pratiques de tapasya (austérité) qui développaient une endurance et une résistance physique exceptionnelles. Ces ascètes, capables de survivre avec un minimum de nourriture et de sommeil, incarnaient une force mentale et physique hors du commun. Leur entraînement faisait d’eux des combattants redoutables, mais aussi des figures idéalisées de la loyauté et de la détermination.
Que des ascètes religieux soient incorporés dans des régiments de combat n’est ni nécessairement pervers – dans le contexte de l’histoire de l’hindouisme traditionnel – ni nécessairement une rupture radicale avec un mode de vie antérieur. Il existe une similitude évidente dans les modes de vie des soldats et des ascètes : tous deux nécessitent une autodiscipline rigoureuse, supportant les épreuves de longs voyages et de longues périodes de camping; subsistant, parfois, avec de maigres rations ; soumis à un commandant ou à un gourou ; un célibat prolongé (ou permanent) durable. Dans l'Inde médiévale, ascétisme, commerce et guerre n'étaient pas incompatibles.
Akhāṛās: Warrior Ascetics” dans Brill’s Encyclopedia of Hinduism Online - Matthew Clark
Ainsi les travaux de Matthew Clark et de Rob Zabel soulignent que ces pratiques physiques des yogis n’étaient donc pas seulement une réponse au colonialisme britannique, mais qu’elles précédaient de loin cette période. D’ailleurs on trouve des traces de sadhus armés expert en combat dès le VIIe siècle.
En outre, le Mahābhārata et le Rāmāyaṇa évoquent déjà le yoga comme une discipline kṣatriya (guerrière), où l’entraînement mental et physique formait un tout indissociable. Dans ces deux grandes épopées de l’Inde, les guerriers sont de grands yogis, et les éthiques du yogi et du guerrier y sont très imbriquées, puisque discipline mentale et physique, maîtrise de soi et force étaient les clés de la victoire. (voir notre article à ce sujet).
Cette vision du yogi guerrier, ou du héros yogi, est d’ailleurs présente dès le Ṛg-Veda, comme nous l’avons vu dans cet article, où le yoga ne désigne pas la méditation, mais le fait de se préparer à la guerre.
Ainsi l’aspect martial du yoga que l’on retrouve dans le yoga moderne ne résulte pas uniquement d’une réaction à la colonisation britannique, mais s’inscrit dans une continuité bien plus ancienne. Dès les temps védiques, il se manifeste à travers les figures des héros épiques, puis se perpétue avec les sadhus armés, les armées Nāga et Bairāgī, ainsi que les yogis Nāths. Cette tradition atteint son apogée au XVIIIe siècle avec la puissance militaire des yogis armés, témoignant d’un héritage de discipline physique et spirituelle profondément enraciné dans l’histoire indienne.
Aux origines du yoga dynamique : la Salutation au Soleil au XVIIᵉ Siècle
Un chapitre essentiel de l’évolution du yoga postural dynamique et de son lien avec la discipline guerrière est lié à la salutation au soleil. Les premières traces de cette pratique remontent au XVIIᵉ siècle.
Sri Samarth Ramdas (env. 1608-1682), un maître spirituel hindou reconnu pour son ascèse et son influence sur les arts martiaux, aurait enseigné une forme de la salutation au soleil à l’armée marathe. Son rôle ne se limitait pas à la spiritualité : il était également le conseiller militaire de Shivaji Maharaja, le fondateur de l’Empire marathe.
Shivaji Maharaja (1630-1680) était un chef de guerre et stratège exceptionnel, connu pour avoir mené la résistance contre l’expansion moghole en Inde. Il dirigeait les troupes marathes dans leur combat contre les envahisseurs musulmans, cherchant à préserver l’autonomie de son peuple face à l’empire moghol.
L’objectif était de renforcer physiquement les soldats tout en leur offrant une méthode de préparation spirituelle et physique pour résister aux envahisseurs musulmans.
Ainsi, la salutation au soleil (Surya Namaskar), bien que souvent associée uniquement à une pratique spirituelle et dévotionnelle, trouve ses racines dans un contexte martial. Elle était pratiquée au Maharashtra bien avant l’arrivée des influences occidentales. Ces pratiques montrent que le yoga, bien avant sa modernisation, intégrait déjà des éléments de discipline physique (incluant saut et enchaînement) adaptés aux besoins des guerriers.
Au XXe siècle, la salutation au soleil subit une transformation sous l’impulsion du Raja d’Aundh, qui modernise et démocratise cette pratique en l’ouvrant aux femmes et en la diffusant dans les écoles et gymnases du Maharashtra.
Traditionnellement réservée aux élites du Maharashtra, elle est popularisée comme un exercice de conditionnement physique. En 1928, Le Raja publia l’ouvrage The Ten-Point Way to Health, dans lequel il décrit une version de la salutation au soleil proche de celle pratiquée aujourd’hui. Il y présente cette séquence comme un outil favorisant à la fois la discipline corporelle et le renforcement physique. En plus de ses bienfaits sur le corps, il y intègre des principes de bien-être et de développement spirituel. La publication de ce livre joue ainsi un rôle clé dans l’intégration de la salutation au soleil au sein du yoga moderne. (en savoir plus sur la salutation au soleil)
Même si l'on pouvait prouver que les salutations au soleil proviennent directement d'une tradition yogique en tant que telle, le fait qu'elles aient été enseignées comme une pratique distincte sans porter le titre de yoga peut facilement s'expliquer par deux raisons : la plupart des Indiens auraient été davantage intéressés par l'apprentissage d'un système d'exercice modernisé et laïc, et non par une technique associée aux yogis, souvent mal perçus et obscurs ; et les Britanniques auraient trouvé cela moins problématique s'il n'y avait pas de lien avec les yogis subversifs qu'ils avaient tant travaillé à réprimer.
Martial Medical Mystical: The Triple Braid of a Traditional Yoga Rob Zabel
Le Śrītattvanidhi : une tradition de séquences d'āsanas antérieure à Krishnamacharya
L’idée selon laquelle Krishnamacharya aurait créé une forme totalement nouvelle de yoga sous l’influence occidentale est contestable, car des éléments de continuité avec la tradition indienne apparaissent dans certaines sources historiques. Rob Zabel explique comment le Śrītattvanidhi, un texte attribué à Mummadi Krishnaraja Wodeyar, le maharaja de Mysore au XIXe siècle, constitue une preuve raisonnable de l’existence de séquences de postures (āsanas) enchaînées avant l’époque de Krishnamacharya. Ce texte, récemment redécouvert par N. E. Sjoman, décrit une approche yogique incluant des exercices physiques et des enchaînements spécifiques d’āsanas, suggérant une tradition préexistante qui aurait influencé les développements ultérieurs du yoga à Mysore.
L’ouvrage divise les āsanas en catégories (debout, couchées, inversées, etc.), une classification souvent attribuée aux modernisateurs du yoga au XXe siècle. Cela démontre que cette structuration du yoga n’est pas une invention récente, mais qu’elle trouve ses racines dans des sources plus anciennes. De plus, malgré des erreurs de transcription relevées par Sjoman nous dit Rob Zabel, l’existence même d’un tel système organisé suggère qu’un yoga structuré en séries était déjà pratiqué avant l’essor de Krishnamacharya.
Ashtanga vinyasa : un héritage martial occulté
De plus, l’hypothèse selon laquelle les influences occidentales, notamment la gymnastique anglaise, auraient façonné le yoga de Mysore repose en grande partie sur la présence d’équipements comme des cordes dans le palais. Toutefois, cette observation peut être relativisée en considérant que des traditions indiennes comme le Kalarippayattu, et le Mallakhamb utilisaient déjà des cordes pour des exercices d’escalade et d’étirement bien avant l’arrivée des Britanniques. Ainsi, la présence de cet équipement ne prouve pas nécessairement un emprunt à la gymnastique occidentale, mais pourrait être une continuité avec des formes traditionnelles d’entraînement physique et martial.
L’influence des arts martiaux indiens sur le yoga de Mysore est également notable. Plusieurs āsanas trouvent des correspondances dans ces disciplines, et leur nomenclature évoque des figures guerrières comme Vīrabhadra, Hanuman ou Visvamitra rappelant à nouveau les liens étroits entre yogis et héros guerriers. (pour en savoir plus lire sur les liens entre yogis et héros épiques)
En outre, les techniques physiques des arts martiaux indiens se retrouvent dans le yoga postural, notamment à travers des mouvements de lutte indienne comme le daṇḍ (push-ups plongeants) et le bhetak (squats dynamiques). Ces exercices, utilisés par les lutteurs pour renforcer leur corps, ont été intégrés dans le yoga sous la forme de postures telles que Adho Mukha Śvānāsana (Chien tête en bas), Urdhva Mukha Śvānāsana (Chien tête en haut) et Ashtanga Namaskara (Posture à huit membres), couramment utilisées dans les salutations au soleil et l’ashtanga yoga.
Selon cet article l’exercice du squat moderne, trouve une partie de ses racines dans les pratiques physiques indiennes, en particulier celles liées à la lutte Kushti.
Le yoga dynamique s’est donc aussi développé en s’inspirant des arts martiaux indiens, comme le Kalarippayattu, où les pratiquants effectuent des enchaînements fluides et rythmés. Ces séquences incluent des coups de pied, des frappes à mains nues, des sauts acrobatiques et des esquives, des éléments qui rappellent les transitions rapides du vinyāsa et ashtanga yoga. Cliquez pour en savoir plus sur l’influence des arts martiaux indiens sur le yoga.
Dand (sauts) et bhetak (squats dynamiques) dans les arts martiaux indiens
yoga dynamique : un hérItage complexe
Lorsqu’on parle du yoga postural moderne, il serait une erreur grave de supposer qu’il descend directement d’une seule école de yoga ou même de l’ensemble des écoles regroupées sous la bannière historique du haṭha. Le yoga postural doit plutôt être compris comme le résultat d’un développement soigneux des pratiques yogiques tapasiques et méditatives, visant à développer des capacités physiques et mentales utilisées aussi bien par des tantriques en quête de pouvoir incarné, par des guérisseurs cherchant la compréhension du corps, et par des mouvements militants souhaitant former des super-guerriers et maintenir leur pouvoir politique.
Martial Medical Mystical: The Triple Braid of a Traditional Yoga Rob Zabel
Loin d’être une simple création moderne influencée par l’Occident, le yoga postural moderne, en particulier le yoga dynamique de Krishnamacharya avec le vinyasa et son dérivé l’asthanga, s’inscrit dans un héritage complexe où coexistent des pratiques ascétiques, martiales et des influences contemporaines.
Je remercie sincérement Rob Zabel pour son essai Martial Medical Mystical: The Triple Braid of a Traditional Yoga sans lequel ma recherche sur le yogi combattant n’aurait pu souligner avec autant de clarté l’héritage martial du yoga postural moderne.
Que pensez-vous de ces influences, ? J’aimerais beaucoup vous entendre, n’hésitez pas à commenter
Merci pour ton article Daphné. Je connaissais cette influence par la gym suédoise et le contexte colonialiste…je suis donc particulièrement heureuse de ta conclusion 😉
Merci, Muriel. Oui c’est tellement important d’explorer le passé pour mieux comprendre le présent et pratiquer avec plus de lucidité.